
Le bras tendu au bord de la chaussée, je sautille sur place ! D’une part, parce que l’un de mes lacets vient de céder, d’autre part, parce cette petite gigue improvisée est le seul moyen d’attirer rapidement l’attention d’un taxi. Lequel, j’en suis sûre, ignorera alors tous les autres bras tendus qui s’agitent désespérément le long de l’avenue pour s’arrêter devant moi.
Rendez-vous important, retard, lacet de chaussure déficient = sport new-yorkais de prédilection : le « hélage » de taxi ! 13000 yellow cabs dans cette ville, à croire que ça n’est pas suffisant ! A certaines heures de pointe, obtenir un taxi relève de la lutte acharnée pour la survie de l’espèce en milieu urbain. Tous les coups sont permis ! Un jour, une bonne femme m’a littéralement éjecté sur le trottoir, pour me VOLER MON TAXI !
Et le chauffeur n’a rien dit… Si ça avait été Travis Bickle, alias Robert de Niro, ça ne se serait pas passé comme ça ! (si le chauffeur de taxi avait été Robert de Niro, il est probable que c’est moi qui aurait piétiné la dame sans aucun remord…). S’il me fallait citer un seul film sur New York, ce serait celui-là : Taxi Driver, de Martin Scorsese. Pour De Niro, le crane rasé, traumatisé par la guerre du Vietnam. Pour les errances de nuit dans un taxi à travers New York. Pour l’une des répliques les plus célèbres du cinéma : You’re talking to me ? You’re talking to me ?… Si quelqu’un s’avise de me piquer le taxi qui vient de s’arrêter, je lui aboie cette réplique à la tête !
« Les coursiers font n’importe quoi ! »
Mais pas besoin d’une imitation hystérique : je suis dans le taxi ; le chauffeur a l’adresse ; il a l’air de savoir à peu près où ça se trouve (ça n’a l’air de rien, mais beaucoup de chauffeurs n’étant pas d’ici, leur connaissance de la ville est parfois approximative. Une fois, j’ai suggéré à un chauffeur de me laisser le volant, pour être sûre d’arriver quelque part… Il n’a pas voulu.) Je n’ai commis qu’une erreur aujourd’hui : préciser que j’étais en retard !
Deux possibilités : ou bien, le chauffeur, excédé par tous ces gens en retard, prend tout son temps, exprès pour vous embêter… Ou bien, après un coup d’œil dans le rétro, ému par votre air perdu et votre visage avenant, il décide que vous êtes sympathique et met un point d’honneur à ce que vous arriviez à l’heure. N’allez pas vous imaginez que cette deuxième solution soit la meilleure ! Trois coursiers à vélo évités de justesse plus tard, je m’agrippe discrètement à la poignée de la portière, prête à me rouler en boule quand surviendra l’impact fatal !
Timidement, je tente d’expliquer à Marvin (c’est le nom de mon cabbie, inscrit sur sa fiche d’identification collée au tableau de bord) que, en retard pour en retard, j’aime autant qu’il ne tue personne. » Les coursiers font n’importe quoi ! » (dit-il, en déboîtant sans regarder dans le rétroviseur pour griller un feu qui vient juste de passer au rouge…)
Coups de frein brusques
Apparemment, Marvin adore être chauffeur de taxi à New York ! C’est un maître dans l’art de slalomer entre les voitures et un as en ce qui concerne les coups de frein brusques à la dernière seconde. De plus, il connaît un tas de petites rues transversales qui permettent d’éviter les grandes avenues, forcément très encombrées à cette heure-ci par tout un tas de coursiers à vélo roulant à contre-sens… C’est lui qui le dit. Moi, je préfèrerais qu’il se concentre sur son volant plutôt que de partager avec moi son obsession des coursiers à vélo… D’ordinaire, j’adore les trajets en taxi dans New York. Circuler en voiture offre un autre point de vue sur la ville, mais, là, je ne profite de rien. Je n’ai qu’une pensée en tête : Marvin, Marvin… Du calme avec le klaxon ! Ultime coup de frein. Marvin pile devant le Guggenheim Museum (à moitié sur le trottoir, mais c’est un détail…). Les jambes flageolantes, je descends, paye la course et, comme je ne suis pas rancunière, rajoute même un bon pourboire. Après tout, je suis toujours vivante, les coursiers à vélo zigzaguent toujours à contre-sens sur la 5ème avenue… Néanmoins, une question me taraude l’esprit et je ne peux pas m’empêcher de la poser à Marvin qui a l’air tout content, comme s’il avait battu une sorte de record personnel : » Jamais aucun problème avec ce genre de conduite ?… « . La réponse est plutôt rassurante : « Jamais de ma faute ! »